C'est un délice...
....avec les crevettes (et sans aussi), une onctuosité avec peu
d’égal dont on se délecte à la petite cuillère sans rien d’autre, un goût suave qu’il
soit cuisiné sucré ou salé. On en raffole ! Et ça crée la panique au moment des
commandes... les avocats. Oui mais voilà, on entend, on lit, on voit de plus en plus que c’est un
scandale écologique, une culture excessivement consommatrice d’eau, et qui
supplante les productions vivrières de populations locales. Et que dire des mangues,
tellement succulentes, qui seraient aussi une hérésie en termes de consommation
d’eau... (vous en redemandez toujours plus pourtant...même en plein mois de
mars !)
Ces cultures tropicales plaisent autant qu’elles posent de nombreuses
questions, elles génèrent des informations négatives concernant leurs
productions dans le Sud de l’Espagne, notamment dans la région de Málaga où
se trouvent nos producteurs partenaires de Biobena.
Nous n’avions jusque-là fourni qu’une information partielle sur le sujet (voir
page avocats et mangues de notre site et page sur Biobena1), ne souhaitant
pas réagir à chaud à des polémiques et manquant de données plus précises,
ou bien empêtrés dans notre logistique. Mais les derniers reportages ou
chroniques (télé, radio, le dernier en date en octobre 2022 sur France Inter
et France Culture2) ou articles dans la presse (dans Le Monde en Juin 20213)
ainsi que les interpellations de la part de plusieurs d’entre nous invitent à
travailler dessus.
Loin de nous l’idée de dénigrer le travail des journalistes mais bien de parler d’une réalité différente, bien plus complexe que les caricatures, les chiffres sortis de contextes sans références ni comparaisons, et les phrases choc.
Nous avons recueilli un précieux témoignage d’Antonio Gutiérrez, de la coopérative familiale Biobena que nous avons approfondi et complété pour enrichir le sujet.
L’Andalousie, et l’Espagne en général, sont en sécheresse sévère cette année
(depuis le printemps 2022), et ce n’est pas à cause des avocats.
Que se passe-t-il donc avec la culture d’avocats ? De grosses entreprises ou
des investisseurs ont mis en production de nouvelles terres sans contrôle ni
régulation de la part du gouvernement andalou. Depuis plusieurs années, on
constate des pratiques illégales sur l’utilisation de l’eau (prélèvements
excessifs par rapport aux droits octroyés, notamment dans les ressources
souterraines, excès de consommation) pour différentes cultures dont la
demande est forte : c’est le cas des avocats à Málaga mais aussi des fraises à
Huelva, et dans une moindre mesure des légumes à Murcia. Les pouvoirs
publics sont mouillés (c’est le cas de le dire) et ne jouent pas leur rôle de
régulation, sanction, etc.
Mais tous les vergers d’avocats et de mangues n’appartiennent pas à de grands groupes ! Les 5 paysans de Biobena ont de petites fermes (14 hectares en totalité répartis sur 5 fermes). Leurs vergers se trouvent autour de la ville de Benamargosa (dans la région de la Axarquía, la partie orientale de la province de Málaga) et de la rivière du même nom, dans de petits villages où l’agriculture constitue un des seuls moyens de maintenir la population sur place et de garder de la vie dans les campagnes. Dans cette région, sont principalement cultivés des agrumes, des avocats, des mangues mais aussi de la vigne, des olives et des amandes.
Les paysans de Biobena irriguent leurs vergers en goutte-à-goutte à partir du
fleuve Benamargosa et d’une réserve municipale. Ils ont des droits
historiques, sous forme de quantité annuelle limitée. Et ils n’ont pas le bras
assez long pour pouvoir puiser plus ! Contrairement aux puissants
propriétaires pratiquant la corruption...
A savoir que cultiver des citrons et des avocats demande la même quantité annuelle d’eau à l’hectare (environ 6000m3) mais que sur un hectare, on peut produire entre 20 et 30 tonnes de citrons contre 5 tonnes d’avocats ; l’avocat est cependant plus rentable que le citron (4€ le kg contre 0,10€ le kg), d’où le choix de cette culture dans cette région où l’agriculture est un pilier économique et social.
Sachant aussi que les conditions locales le permettent : le climat est subtropical dans cette partie de l’Andalousie avec des hivers doux et pluvieux, un fort ensoleillement, l’absence de gel. Une barrière rocheuse garde la chaleur et retient la pluie du Sud. Benamargosa enregistre sur l’année une température moyenne de 18oC et des précipitations moyennes d’environ 600mm. Sans oublier l’importance des pratiques agricoles biologiques pour économiser l’eau : paillage, choix du type d’irrigation.
Donc, le chiffre avancé de 1000L d’eau nécessaire pour produire un kilo d’avocats (dans les articles et chroniques cités précédemment) est certes juste mais quelque peu simpliste. En agriculture, nous parlons en m3 par hectare, sachant que ce n’est pas parce que l’eau est utilisée qu’elle est en totalité perdue. Par ailleurs, il serait plus judicieux d’employer le concept d’ « empreinte eau » ou « empreinte hydrique »4 qui définit la quantité d’eau utilisée d’un aliment durant toutes les étapes de la production5. A savoir que l’avocat est un fruit qui a une valeur énergétique plus proche de celle du cochon, du beurre, etc que d’autres légumes et fruits.
Antonio, paysan de la coopérative Biobena, producteur de mangues, d'avocats et de citrons.
« Bonjour Alberto,
María m'a dit que circulaient des informations négatives en France sur la culture de
plantes tropicales à Málaga. Le débat existe aussi en Allemagne, il semble que
certaines entreprises aient intérêt à discréditer cette culture dans notre région. Pour
que vous puissiez contrecarrer cette information qui arrive aux gens là-bas en
France, je vais vous raconter tout ce que j'ai vécu depuis que j'ai découvert ces
cultures.
Mon père a été l'un des premiers agriculteurs [de la région de la Axarquía, la partie
orientale de la province de Málaga, entre reliefs prononcés et littoral ensoleillé] à
planter des avocatiers et des manguiers à des fins commerciales, c'est-à-dire pour
en vivre. Il y a environ quarante ans, nous avons commencé à planter d'abord des
avocatiers, puis des manguiers. Dans notre région, la vallée de la rivière
Benamargosa, les exploitations sont petites, entre 1 demi-hectare et 1 hectare
environ par producteur. Ces cultures se sont très bien adaptées, les citrons ont
commencé à être remplacés par des avocats -pour des raisons de rentabilité- dans
les zones de la vallée fluviale où se trouvent les vergers historiques.
Pour ceux qui pensent à la consommation d'eau de l'avocat, ici on irrigue avec la
même quantité d’eau le citronnier et l’avocatier. Dans les zones bordant la vallée,
où il y avait des oliviers, des vignes, des amandiers, des pâturages, etc... des
manguiers ont été plantés pour la même logique de rentabilité, ils demandent
moins d’eau que les avocatiers.
La croissance surfacique de ces cultures se faisait très lentement jusqu’au boom
immobilier à partir de la fin des années 1990 et jusqu’à la crise des banques dans
les années 2010. La ruée vers l’immobilier terminée, le boom des avocats et des mangues a pris le
relais : beaucoup de gens, surtout des non-agriculteurs, ont commencé à créer des
fermes, notamment des plantations d’avocatiers et de manguiers sous la pression
d’investisseurs, et sans aucun contrôle de l’administration. Il y avait aussi des
agriculteurs, embarqués dans la spirale car ayant considérablement augmenté leur
production, ils devaient sans cesse agrandir et investir dans leurs exploitations pour
rester rentables.
S’ajoute désormais le problème de la sécheresse chronique combinée à la forte
densité de cultures tropicales. Parce que le problème n’est pas que l’avocatier et le
manguier consomment plus d’eau mais qu’il y a aujourd’hui trop de fermes en
monocultures. Il y a aussi autre chose dont on ne parle pas assez dans le débat sur
l’eau, c’est que l’été il y a beaucoup trop de touristes, ce qui fait tripler la population
et ce qui fait logiquement augmenter la consommation de l’eau.Tout n’est pas la
faute de l’agriculture. Le problème vient du fait que tout se fait sans aucun
contrôle.
Pour que les gens en France le sachent : nous [Biobena] cultivons des avocats et des
mangues à Benamargosa et les distribuons en partie à BioEspuña, et ces fruits
viennent de petits agriculteurs dont les fermes sont à 90% des vergers historiques
sur de petites parcelles. Nous n’avons pas ici d’industries, l’économie du tourisme
est très importante mais nous ne pouvons pas tous vivre de ça, alors nous avons l’agriculture comme alternative. »
Vous pouvez compéter cette explication avec des informations en français
sur le site de Biobena :https://www.frutas-biobena.com/fr/des-nouvelles/
Les gourmands se sentiront peut-être déculpabilisés, ou bien renforcés dans
leur choix de l’agriculture paysanne. D’autres avaient de toutes manières
décidé de bannir les avocats de leur assiette... En tous cas, notre idée était
de montrer une autre réalité que celle que proposent les grands médias pour
que chacun puisse faire ses choix en conscience. Certes, ce sont des cultures
consommatrices d'eau (les agrumes aussi) et chacun reste libre de repenser
sa consommation d’eau, que ce soit dans l'alimentation, l'habitat, les loisirs,
etc.
Mais si vous voulez continuer à manger des avocats, des structures comme Biobena nous semblent l’alternative la plus éthique. Moins loin que l’Amérique Latine et Centrale, Israël, l’Australie, etc. Pas d’engrais chimiques de synthèse, des pratiques agricoles biologiques mais aussi un respect du territoire, des écosystèmes, des humains. Nous restons bien évidemment ouverts à des échanges su ce sujet, et enchantés à l’idée de les poursuivre !
Julie HUGUES DIT CILES
1 https://www.bioespuna.eu/biobena
2 https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/la-culture-de-l-avocat-asseche-l-andalousie-9723506
3 https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/06/09/la-culture-de-l-avocat-epuise-les-ressources-en-eau-du-sud-de-l-espagne_6083389_3244.html
4 https://www.save4planet.com/ecologie/159/nombre-litre-eau-aliment#:~:text=%2D%20La%20tomate%20%3A%2050%20litres%20pour,214%20litres%20pour%201%20kg.
https://nutritionnisteurbain.ca/infographiques/combien-deau-est-utilisee-pour-produire-les-aliments/